samedi 3 janvier 2009

Le drapeau

Ils sont quinze cent mille qui sont morts pour cette saloperie-là
Quinze cent mille dans mon pays, quinze millions dans tous les pays.
Quinze cent mille morts, mon dieu!
Quinze cent mille hommes morts pour cette saloperie tricolore...
Quinze cent mille morts dont chacun avait une mère, une maîtresse,
Des enfants, une maison, une vie, un espoir, un coeur...
Qu'est ce que c'est que cette loque pour laquelle ils sont morts?
Quinze cent mille morts, mon dieu!
Quinze cent mille morts pour cette saloperie.
Quinze cent mille éventrés, déchiquetés,
Anéantis dans le fumier d'un champ de bataille,
Quinze cent mille que nous ne reverront plus JAMAIS,
Que leurs amours ne reverront plus JAMAIS.
Quinze cent mille pourris dans quelque cimetière
Sans planches et sans prières...
Est-ce que vous ne voyez pas comme ils étaient beaux, résolus, heureux
De vivre, comme leurs regards brillaient, comme leurs femmes les aimaient?
Ils ne sont plus que de la pourriture...
Pour cette immonde petite guenille!
Terrible morceau de drap coulé à ta hampe, je te hais férocement,
Oui, je te hais dans l'âme, je te hais pour toutes les misères que tu représentes
Pour le sang frais, le sang humain aux odeurs âpres qui gicle sous tes plis.
Je te hais au nom des squelettes... Ils étaient quinze cent mille.
Je te hais pour tous ceux qui te saluent,
Je te hais à cause des peigne-culs, des couillons, des putains,
Qui traînent dans la boue leur chapeau devant ton ombre,
Je hais en toi toute la vieille oppression séculaire, le dieu bestial,
Le défi aux hommes que nous ne savons pas être.
Je hais tes sales couleurs, le rouge de leur sang, le sang bleu que tu voles au ciel,
Le blanc livide de tes remords.

Laisse-moi ignoble symbole, pleurer tout seul, pleurer à grand coup
Les quinze cent mille jeunes hommes qui sont morts.
Et n'oublie pas, malgré tes généraux, ton fer doré et tes victoires,
Que tu es pour moi de la race vile des torche-culs.

Jean Zay était ministre de l'Education et des Beaux Arts dans le gouvernement Blum de front populaire.
Il a écrit ce texte en 1924.

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